[TRAVAUX DE RECHERCHE] Comment la propagation des champignons Batrachochytrium dendrobatidis et Batrachochytrium salamandrivorans menace-t-elle les populations d’amphibiens, et quelles solutions peut-on envisager pour protéger durablement ces espèces ?

Chaque année, nos étudiants de 1re et 2e année du Bachelor of Science Gestion et Valorisation Naturaliste réalisent des travaux de recherche. Ces derniers occupent une place centrale dans leur formation. Ils leur permettent de devenir acteurs de leurs apprentissages en développant autonomie, rigueur et sens des responsabilités. À travers ces projets, les étudiants apprennent à rechercher efficacement l’information, à rédiger et argumenter, à structurer leur pensée et à présenter leurs travaux de manière professionnelle. Véritable exercice de réflexion personnelle, le travail de recherche favorise l’organisation, la discipline et l’implication, tout en constituant une étape essentielle vers la réussite et la préparation au monde professionnel. Parmi tous les travaux de recherche proposés, les trois meilleurs sont sélectionnés pour être mis à l’honneur et récompensés. Voici un résumé de celui de Hélène, étudiante en deuxième année de Bachelor à Lille, qui a obtenu la troisième place.
Travaux de recherche 6
Depuis plusieurs décennies, les scientifiques observent un phénomène alarmant : les amphibiens, essentiels à l’équilibre des écosystèmes, disparaissent à un rythme inquiétant. Si la destruction des habitats et le changement climatique jouent un rôle évident, une autre menace, bien plus discrète mais tout aussi redoutable, contribue à ce déclin : deux champignons microscopiques du genre Batrachochytrium. Leur nom est difficile à prononcer, mais leurs effets, eux, sont dévastateurs.

Deux ennemis invisibles : Bd et Bsal

Batrachochytrium dendrobatidis, le pionnier de la crise

Découvert à la fin des années 1990, Batrachochytrium dendrobatidis (ou Bd) a été identifié comme la cause principale de la mystérieuse disparition de nombreuses espèces de grenouilles et crapauds à travers le monde. Ce champignon s’attaque à la peau des amphibiens — un organe vital, car ils respirent et régulent leur eau par voie cutanée.
Résultat : leur organisme se dérègle complètement, menant souvent à la mort. Présent aujourd’hui sur presque tous les continents, Bd est considéré comme l’un des pathogènes les plus destructeurs jamais observés chez les vertébrés.

Batrachochytrium salamandrivorans, le “dévoreur de salamandres”

En 2013, un autre champignon apparenté, Batrachochytrium salamandrivorans (Bsal), est découvert en Europe après une hécatombe de salamandres aux Pays-Bas. Originaire d’Asie, il a probablement voyagé via le commerce d’animaux exotiques. Contrairement à Bd, il cible principalement les urodèles (salamandres et tritons) et provoque des nécroses cutanées rapides, entraînant des mortalités pouvant atteindre 90 %. Les espèces européennes, dépourvues de défenses naturelles, en sont les premières victimes.

Des champignons microscopiques mais redoutablement efficaces

Ces deux champignons partagent une structure cellulaire complexe et une redoutable capacité d’adaptation. Leur arme principale ? Des zoospores — des cellules microscopiques capables de se déplacer dans l’eau à l’aide d’un flagelle.
Ces spores repèrent la peau des amphibiens grâce à des signaux chimiques, s’y fixent, puis s’y développent en formant un sporangium, une sorte de poche reproductrice qui libère de nouvelles spores prêtes à infecter d’autres individus. Ce cycle rapide, associé à leur résistance dans les milieux humides, explique leur expansion fulgurante. La combinaison de ces mécanismes biologiques fait de Bd et Bsal de véritables “pandémies de la nature”.

Une propagation favorisée par l’activité humaine

Les champignons chytrides se propagent naturellement par l’eau ou le contact direct entre individus, mais leur diffusion mondiale est avant tout due aux activités humaines.
Le commerce international d’amphibiens — pour les animaleries, la recherche ou même la consommation — a permis à ces pathogènes de voyager d’un continent à l’autre. Des espèces exotiques comme la grenouille-taureau ou certains tritons asiatiques sont souvent porteuses saines, capables de transporter le champignon sans en subir les effets.
Dans certaines régions, comme l’Amérique centrale ou l’Europe, les conséquences sont dramatiques : des centaines d’espèces décimées, des populations entières disparues et des déséquilibres écologiques majeurs. La disparition des amphibiens perturbe les chaînes alimentaires, favorisant notamment la prolifération d’insectes.

Des pistes pour lutter contre cette épidémie mondiale

Surveiller pour agir vite

La détection précoce est un enjeu crucial. Grâce à l’ADN environnemental, il est désormais possible de repérer la présence du champignon dans un étang ou un sol à partir de simples prélèvements d’eau. Cette méthode permet d’intervenir rapidement avant que l’infection ne se propage.

Renforcer la biosécurité

Limiter la contamination passe aussi par des gestes simples : désinfection du matériel de terrain, contrôle sanitaire des animaux commercialisés, ou encore restriction des échanges d’amphibiens entre régions.
Des programmes de surveillance internationale, comme Amphibian Disease Portal, aident déjà à suivre la progression de ces foyers.

Expérimenter de nouvelles solutions

Les chercheurs testent actuellement différentes approches : traitement par chaleur (ou “sauna pour grenouilles”), antifongiques topiques, et même probiotiques naturels. Certaines bactéries présentes sur la peau d’amphibiens pourraient en effet bloquer le développement des champignons — une piste prometteuse pour la conservation à long terme.
Parallèlement, des programmes d’élevage en captivité permettent de sauvegarder les espèces les plus menacées, le temps de trouver des solutions durables.

Préserver les amphibiens, c’est protéger nos écosystèmes

La crise causée par Bd et Bsal illustre la fragilité des équilibres naturels et les conséquences directes des échanges mondiaux sur la faune sauvage. Ces champignons, invisibles à l’œil nu, ont déjà causé l’un des plus grands désastres écologiques modernes.
Mais en combinant recherche, surveillance et coopération internationale, il est encore possible de freiner leur expansion. Préserver les amphibiens, c’est aussi préserver les forêts, les zones humides et les chaînes alimentaires dont dépend toute la biodiversité. La lutte contre ces pathogènes rappelle une vérité essentielle : la santé des écosystèmes, des animaux et des humains est indissociable — une approche que l’on nomme désormais One Health.